Rupture Douce Saison 3

Rupture Douce Saison 3Le futur Best Seller « Rupture Douce Saison 3 » est maintenant disponible sur Lulu.com .

Cette série de livre est écrite à plusieurs mains, chaque auteur choisissant l’histoire qu’il a envie de raconter et la façon de la raconter. Toutes ces histoires se lisent les unes après les autres dans l’ordre proposé par le livre, ou dans l’ordre qui vous tente en fonction de votre état d’esprit au moment ou vous vous réservez un temps de lecture.

Je n’ai pas contribué à cette saison 3, qui pourtant le thème « Libérons l’Agilité » est un de mes sujets favoris du moment, et j’avais rédigé une histoire pour la saison 2 sur le thème de l’apprentissage par le jeu.

Je vous le livre dans cet article en espérant que cela vous donne envie d’acheter la saison 3 … et pourquoi pas les saisons 2 et 1, car il y a de nombreuses histoires très sympathique à y découvrir.

Bonne lecture

OSONS JOUER

If you are having fun, You are not learning!

L’autre soir, je zappotais au hasard quand je suis tombé sur une série qui raconte l’histoire d’une petite fille avec quelques pouvoirs magiques. L’épisode qui passait montrait une salle de classe anglaise avec une directrice particulièrement détestable.

Ce n’est pas vraiment l’histoire ou la qualité de la série qui a fait arrêter mon zapping, mais ce qui était marqué en très gros au-dessus du tableau noir de la classe :

 « If you are having Fun, You are not Learning! »

 Cette phrase m’est revenue en écho à ce que j’entends  régulièrement dans les entreprises lorsque je propose d’animer un jeu pour apprendre des pratiques ou des principes agiles. Les propos tenus sont rarement aussi cinglants que la phrase au-dessus du tableau, mais l’intention est la même.

Comme quelques exemples valent mieux qu’un long discours, je vous propose un florilège de ce que j’ai entendu :

 « Nous sommes ici pour travailler, pas pour jouer »

« Des post-it et des gommettes, nous voici revenus au jardin d’enfants »

« Faites ce que vous voulez, mais dans une salle fermée sans paroi vitrée »

« Mais comment voulez-vous obtenir un résultat sérieux en jouant ? »

 Bien sûr chacun peut avoir son propre avis et tous sont respectables, mais il est dommage que ces personnes, bien souvent des décideurs, n’aient pas pris le temps d’analyser les mécanismes qui font que les jeux sont d’une redoutable efficacité en terme d’enseignement. Au delà de l’approche purement ludique, ils contribuent également très fortement à la mise en place d’une réelle dynamique d’équipe … et tous les Agilistes savent bien que la réussite d’un projet est majoritairement due à la constitution d’une équipe performante.

Assumer le terme JEU

Les humains constituent l’espèce la plus évoluée sur notre planète car nous possédons de nombreux savoir-faire. D’après les scientifiques, c’est grâce à la durée de notre enfance qui est nettement plus longue que celle des autres races. Si la jeune gazelle doit pouvoir courir très rapidement quelques heures après sa naissance, sous crainte de se voir dévorer par un prédateur, nos enfants peuvent profiter de plusieurs années pour développer leurs compétences et leurs savoirs. Durant ces années, nos enfants pratiquent assidûment le jeu car c’est un vecteur d’apprentissage fantastique puisqu’ils n’ont pas l’impression de travailler et de faire des efforts :  ils jouent. Donc il semblerait que le jeu soit une technique efficace pour assimiler nos savoirs et qu’il fasse partie intégrante de nos comportements … tout au moins dans notre jeunesse.

Alors, s’il n’est plus sérieux de jouer en entreprise, cela veut dire que nous avons perdu notre esprit joueur ? Mais où, quand, pourquoi ?

Y a-t-il un âge où notre esprit joueur disparaît ? Cela se passe-t-il à 10, 12 ou 17 ans ? Est-ce dans la nuit, comme pour la date limite de consommation des aliments. A 23h59 jour J nous serions encore joueurs et plus à 0h01 jour J+1 ?

Ou est-ce le fait de gagner un salaire qui en est la cause ? Ou alors le fait d’avoir des responsabilités professionnelles ? Ou bien celui d’avoir des enfants ?

En fait rien de tout cela car nous ne pouvons nous départir de notre esprit joueur puisque nous sommes « les créatures les plus joueuses de la planète« . Ce constat est fait par le Dr. Stuart Brown, Créateur du « National Institute For PLAY »[1] et ancien médecin psychiatre, qui se passionne pour le jeu depuis des années et défend l’idée que la science du jeu humain est une discipline scientifique à part entière devant être l’objet de travaux de recherche. De son point de vue, le jeu est un phénomène aussi simple et répandu que le sommeil. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les animaux jouent également de façon naturelle et que cela peut parfois leur sauver la vie. Une vidéo sur le site du NIFP1 est particulièrement démonstrative ; elle réunit un ours blanc plutôt agressif et un chien de traîneau. Lorsque l’ours s’approche du chien, celui-ci se met alors dans une position de jeu, pattes avant allongées dans la direction de l’ours et petits sauts. L’ours change alors totalement de comportement et fini par jouer avec le chien, qu’il aurait pu éventrer d’un coup de patte.

Voltaire et Platon

Bien avant les travaux du Dr. Stuart Brown, certains philosophes avaient déjà pris conscience de l’importance du jeu. Dans l’antiquité Platon assurait qu’il pouvait en apprendre plus sur une personne en une heure de jeu qu’en une année de conversation. Il y a 3 siècles, Voltaire indiquait que plus il avançait en âge, plus il était convaincu qu’il ne fallait que s’amuser. A la même époque, Friedrich Schiller assurait que l’homme est totalement humain seulement lorsqu’il joue.

Et au siècle dernier Brian Sutton-Smith affirmait que :

 « Le contraire du jeu n’est pas le travail mais bien la dépression. »

 Alors faut-il en conclure que le jeu est sérieux ? Sûrement pas ! Mais plutôt qu’il fait partie intégrante de notre ADN en étant une source inépuisable de plaisir, de joie et d’apprentissage. Nous pouvons et même nous devons assumer le terme JEU sans crainte, ne pas nous arrêter de jouer, et surtout pas dans la sphère professionnelle, sous crainte de tomber effectivement dans la dépression.

 

Notre futur sera probablement très différent du présent, mais avec du jeu encore plus présent. Aux dires de Gabe Zichermann[2], un spécialiste de la gamification (ou ludification) des entreprises, la génération Y serait encore plus sensible à la notion de jeu puisque depuis son enfance elle baigne dans le jeu vidéo, les consoles, les mobiles, le réseau social et bien d’autres choses encore. Il serait donc indispensable pour les managers et leurs entreprises de bien comprendre ces enjeux pour motiver ou simplement embaucher des jeunes de la génération Y au sein de leurs entreprises. Cette analyse est confirmée par une étude MTV réalisée en 2011[3] qui rapportait que les jeunes de la génération Y considéraient que la « game-like metaphor » s’appliquait à tous les aspects de leur vie, et en particulier leur vie professionnelle.

Et comment ca marche ?

Pratiqué en entreprise, le jeu donne des résultats particulièrement performants. La mémorisation des pratiques à long terme est meilleure, les questions sur les modes opératoires sont nombreuses et pertinentes, l’attention des participants est durable et de bonne qualité, et d’une façon générale les participants ne voient pas le temps passer, preuve d’un intérêt réel pour le sujet proposé. Il est donc intéressant de chercher à comprendre pourquoi cette activité est aussi efficace.

Tout d’abord il est important de préciser que le jeu en entreprise n’est pas pratiqué n’importe comment, c’est à dire uniquement pour le plaisir de jouer, et cela même si j’aurais tendance à penser que ce n’est pas mal de prendre du plaisir de temps en temps. Chaque jeu a un objectif précis (Cf. « Facilitation ludinnovante », de Laurent Sarrazin, parue dans « Rupture Douce Saison 01 ») et même s’il n’est pas forcément connu par les participants au démarrage du jeu, ils savent qu’ils vont en retirer un apprentissage concret ce qui les incitent à s’engager dans l’activité proposée.

Les jeux mettent les participants dans l’action et favorisent un apprentissage cognitif, c’est à dire en pratiquant soi-même. La réticence des participants à se « mettre en scène » est parfois réelle, mais les règles du jeu et la possibilité d’utiliser un avatar, donc ne plus être exactement soi-même, permettent de définir une zone de sécurité dans laquelle chacun pourra s’exprimer librement. Il n’est pas rare de voir des discussions beaucoup plus honnêtes entre un employé et son manager lors d’un jeu que dans le contexte professionnel. Ces discussions permettent bien souvent de se comprendre mieux et donc de mieux travailler ensemble à l’issue du jeu.

Ceci pourrait également être mis en relation avec les « Cartes Narratives » de Michael White[4], grand thérapeute australien que m’a fait découvrir Laurent Sarrazin, et sa notion de « conversations externalisantes ». Je cite « dans les conversations externalisantes, le problème devient le problème, et non pas la personne. Nous objectivons le problème au lieu d’objectiver la ou les personnes. La séparation entre l’identité de la personne et l’identité du problème ne supprime pas la responsabilité des gens à traiter leur problème. De fait, la séparation donne à la personne davantage de possibilités d’exercer sa responsabilité. En effet, si la personne est le problème, elle ne peut pas faire grand chose qui ne soit pas autodestructeur. Par contre, si la relation entre la personne et le problème est défini avec clarté, comme c’est le cas dans les conversations externalisantes, alors une foule de possibilités se présentent pour faire évoluer cette relation ». Avec cet angle de vue, la protection offerte par les règles du jeu permettent à chacun de regarder la situation avec du recul sans se considérer personnellement engagé dans cette situation.

Je joue donc je sais

La notion d’apprentissage est fortement liée à celle de la mémorisation du savoir, qui est de son côté, beaucoup plus pérenne lorsqu’elle est liée à une émotion vécue. A titre d’exemple je citerais le fait que nous sommes très nombreux à nous rappeler précisément ce que nous faisions il y a plus de 10 ans le 11 septembre 2001. Mais quasiment personne ne se souvient de ce qu’il faisait le 10 septembre ou le 12 septembre de la même année. Nos émotions sont donc des vecteurs essentiels de l’ancrage du savoir dans notre cerveau et quoi de mieux que le jeu pour créer ces émotions. Nous pouvons avoir le plaisir de gagner, la satisfaction d’avoir un bon résultat, le bonheur d’avoir eu un fou rire ou même être frustré d’avoir perdu. Le plaisir, le bonheur et la frustration sont des émotions très fortes qui enracinent notre savoir pour une longue période.

Un autre mécanisme de succès du jeu est la compétition. En effet, ce levier est tellement ancré en nous qu’il suffit d’avoir 2 équipes dans une salle pour que chacune d’elles essaie de « battre » l’autre, et cela même si le jeu pratiqué n’est absolument pas compétitif (comme un Innovation Games® par exemple). Une des techniques de facilitation des jeux, que j’utilise couramment, consiste d’ailleurs à constituer 2 équipes pour que l’engagement de chacun soit plus rapide et plus fort, même s’il n’y a que 4 participant !

Comment convaincre mon patron de me laisser jouer ?

Certains patrons montrent des réticences à laisser jouer leurs équipes car le ROI (I;e. : retour sur investissement) ne leur semble pas garanti. Si les bénéfices d’une heure de formation semblent acquis, il n’en est pas de même pour une heure de jeu. Une approche possible pour les convaincre serait de leur parler de la position des philosophes, de l’ancrage des apprentissages ou de présenter le jeu comme un outil pour créer une dynamique d’équipe. Mais la meilleure solution est de les faire jouer eux-mêmes.

Lorsque FDJ, celui dont parle Claude dans son histoire (Cf. « Quand l’agilité rencontre la sociocratie » de Claude Aubry, parue dans « Rupture Douce Saison 01 ») a essayé de vendre l’approche par le jeu à la direction de son entreprise, il s’est heurté à une résistance polie : « Mais qu’est ce que cela va nous apporter ? ». Plutôt que d’argumenter pendant des heures, il a simplement proposé aux directeurs d’investir 2 heures de leur temps à jouer entre eux. L’un des 2 jeux choisis était mon « Casino Game »[5]. Comme dans la grande majorité des situations, la dynamique du jeu s’est mise en place avec beaucoup de rires, un peu de tricherie et énormément d’énergie. A l’issue des jeux, FDJ a simplement demandé à ces directeurs s’ils avaient pris du plaisir en apprenant des choses, et comme leur réponse a été positive, il a simplement ajouté : « et pourquoi vous ne voudriez pas que vos collaborateurs prennent le même plaisir que vous ? » Et hop, c’était gagné !

FastocheLorsque j’interviens chez un nouveau client pour présenter l’agilité, je propose toujours un jeu, et cela quelque soit le niveau hiérarchique des participants. Je ne leur laisse pas vraiment le choix, car j’ai totalement confiance dans ce qui va se passer et je sais que cela sera une réussite. Bien entendu, je choisis le jeu en fonction de l’objectif à atteindre. Un jeu comme « Artistes & Spécifieurs »[6] sera utilisé pour faire découvrir les mécanismes d’une méthode de gestion de projet Agile, un Jeu comme « Au Tableau »[7] sera utilisé pour favoriser la mise en place d’un management visuel et un « Marshmallow Challenge »[8] permettra de mieux comprendre la démarche empirique propre à l’agilité. Un autre jeu comme le « Fearless Journey »[9] (Cf. « Un voyage sans crainte » de Gilles Mantel, parue dans « Rupture Douce Saison 01 ») sera utilisé pour enseigner des stratégies pour résoudre des problèmes.

Je vais bientôt faciliter un jeu et je stresse un peu

La facilitation d’un jeu est légèrement différente de la facilitation de réunion ou d’une équipe (comme le rôle de Scrum Master). Tout d’abord il faut préparer le matériel et bien connaître les règles du jeu. Pour cela, l’idéal est d’avoir eu l’occasion de pratiquer ce jeu en tant que joueur ou de l’avoir essayé sur une population de volontaires. La participation à un événement comme Agile Games France, Agile Playground, ou une soirée Scrum Night, permet aux participants d’être en totale sécurité pour essayer toutes sortes de jeu que ce soit comme joueur ou animateur.

En tant qu’animateur, il ne faut pas oublier que le jeu n’est pas pour nous mais bien à destination des joueurs, surtout si nous avons un rôle à jouer dans le jeu (comme le Product Owner de « Lego4Scrum »[10]). Cela ne doit pas nous empêcher de prendre du plaisir, mais il faut faire attention à ne pas nous laisser prendre au jeu et vouloir gagner nous même !

Le facilitateur doit être convaincu que le jeu va marcher et ne pas laisser de temps mort dans la mise en route. J’aime bien stimuler les participants avant le démarrage du jeu, par exemple en répétant plusieurs fois qu’ils n’auront que 120 secondes pour construire le produit, comme dans « 99 balloons »[11], et que c’est vraiment un délai très court. D’autres animateurs voient cela comme une manipulation des joueurs, pour moi c’est simplement une mise en condition, comme pour un sportif qui s’échauffe avant de rentrer sur le terrain.

Le facilitateur doit rester humble face au jeu et accepter d’apprendre des joueurs. Le jeu ne se déroulera jamais 2 fois exactement de la même façon. Il ne faut surtout pas chercher à remettre les joueurs dans un cadre prévu à l’avance, mais plutôt faire preuve d’initiative et de réactivité face aux situations rencontrés. J’ai bien dû animer le jeu « Artistes & Spécifieurs »6 plus de 100 fois et le déroulement du jeu m’a toujours réservé des surprises (découverte du bug de la fin, spécification écrites sous forme géométrique …). Encore aujourd’hui, j’apprends toujours de mes joueurs lorsque je l’anime.

La dernière étape d’un jeu est le débriefing avec les participants pour analyser le déroulement de la partie, renforcer les enseignements acquis et prendre du feedback des participants sur les situations professionnelles que le jeu leur rappelle, ou leur demander dans quel contexte ils pourront mettre en œuvre les apprentissages.

Cette étape est absolument cruciale pour la réussite du jeu

Malheureusement, j’ai vu plusieurs fois des animateurs écourter, voir annuler, cette discussion par manque de temps. Il aurait sûrement mieux valu jouer moins longtemps et garder du temps pour faire un vrai débriefing.

En conclusion

J’espère vous avoir donné envie de jouer si vous n’osiez pas le faire, ou de rejouer si vous étiez déjà joueur, ou de créer un jeu pour faire jouer les autres, ou simplement de venir jouer avec nous lors d’un prochain événement agile dédié aux jeux.



[1]http://www.nifplay.org/

[2]Zicherman G. – http://www.gamification.co/gabe-zichermann/

[3]Shore N. (2011,n december 12) « Millenials Are Playing With You » – http://blogs.hbr.org/cs/2011/12/millennials_are_playing_with_y.html

[4]White M. – https://fr.wikipedia.org/wiki/Michael_White

[5]Boutin Alexandre – http://www.agilex.fr/jeu-casino-game/

[6]Cockburn Alistair – http://alistair.cockburn.us/The+Draw+the+Drawing+Game

[7]Boutin Alexandre – http://www.agilex.fr/jeu-au-tableau/

[8]http://marshmallowchallenge.com/Welcome.html

[9]http://fearlessjourney.info/

[10]http://www.lego4scrum.com/

[11]http://tastycupcakes.org/2009/06/99-test-balloons/

 

 

If you are having fun, You are not learning!

L’autre soir, je zappotais au hasard quand je suis tombé sur une série qui raconte l’histoire d’une petite fille avec quelques pouvoirs magiques. L’épisode qui passait montrait une salle de classe anglaise avec une directrice particulièrement détestable.

Ce n’est pas vraiment l’histoire ou la qualité de la série qui a fait arrêter mon zapping, mais ce qui était marqué en très gros au-dessus du tableau noir de la classe :

« If you are having Fun, You are not Learning! »

 

Cette phrase m’est revenue en écho à ce que j’entends  régulièrement dans les entreprises lorsque je propose d’animer un jeu pour apprendre des pratiques ou des principes agiles. Les propos tenus sont rarement aussi cinglants que la phrase au-dessus du tableau, mais l’intention est la même.

Comme quelques exemples valent mieux qu’un long discours, je vous propose un florilège de ce que j’ai entendu :

« Nous sommes ici pour travailler, pas pour jouer »

« Des post-it et des gommettes, nous voici revenus au jardin d’enfants »

« Faites ce que vous voulez, mais dans une salle fermée sans paroi vitrée »

« Mais comment voulez-vous obtenir un résultat sérieux en jouant ? »

Bien sûr chacun peut avoir son propre avis et tous sont respectables, mais il est dommage que ces personnes, bien souvent des décideurs, n’aient pas pris le temps d’analyser les mécanismes qui font que les jeux sont d’une redoutable efficacité en terme d’enseignement. Au delà de l’approche purement ludique, ils contribuent également très fortement à la mise en place d’une réelle dynamique d’équipe … et tous les Agilistes savent bien que la réussite d’un projet est majoritairement due à la constitution d’une équipe performante.

Assumer le terme JEU

Les humains constituent l’espèce la plus évoluée sur notre planète car nous possédons de nombreux savoir-faire. D’après les scientifiques, c’est grâce à la durée de notre enfance qui est nettement plus longue que celle des autres races. Si la jeune gazelle doit pouvoir courir très rapidement quelques heures après sa naissance, sous crainte de se voir dévorer par un prédateur, nos enfants peuvent profiter de plusieurs années pour développer leurs compétences et leurs savoirs. Durant ces années, nos enfants pratiquent assidûment le jeu car c’est un vecteur d’apprentissage fantastique puisqu’ils n’ont pas l’impression de travailler et de faire des efforts :  ils jouent. Donc il semblerait que le jeu soit une technique efficace pour assimiler nos savoirs et qu’il fasse partie intégrante de nos comportements … tout au moins dans notre jeunesse.

Alors, s’il n’est plus sérieux de jouer en entreprise, cela veut dire que nous avons perdu notre esprit joueur ? Mais où, quand, pourquoi ?

Y a-t-il un âge où notre esprit joueur disparaît ? Cela se passe-t-il à 10, 12 ou 17 ans ? Est-ce dans la nuit, comme pour la date limite de consommation des aliments. A 23h59 jour J nous serions encore joueurs et plus à 0h01 jour J+1 ?

Ou est-ce le fait de gagner un salaire qui en est la cause ? Ou alors le fait d’avoir des responsabilités professionnelles ? Ou bien celui d’avoir des enfants ?

En fait rien de tout cela car nous ne pouvons nous départir de notre esprit joueur puisque nous sommes « les créatures les plus joueuses de la planète« . Ce constat est fait par le Dr. Stuart Brown, Créateur du « National Institute For PLAY »[1] et ancien médecin psychiatre, qui se passionne pour le jeu depuis des années et défend l’idée que la science du jeu humain est une discipline scientifique à part entière devant être l’objet de travaux de recherche. De son point de vue, le jeu est un phénomène aussi simple et répandu que le sommeil. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les animaux jouent également de façon naturelle et que cela peut parfois leur sauver la vie. Une vidéo sur le site du NIFP1 est particulièrement démonstrative ; elle réunit un ours blanc plutôt agressif et un chien de traîneau. Lorsque l’ours s’approche du chien, celui-ci se met alors dans une position de jeu, pattes avant allongées dans la direction de l’ours et petits sauts. L’ours change alors totalement de comportement et fini par jouer avec le chien, qu’il aurait pu éventrer d’un coup de patte.

Voltaire et Platon.jpg

Bien avant les travaux du Dr. Stuart Brown, certains philosophes avaient déjà pris conscience de l’importance du jeu. Dans l’antiquité Platon assurait qu’il pouvait en apprendre plus sur une personne en une heure de jeu qu’en une année de conversation. Il y a 3 siècles, Voltaire indiquait que plus il avançait en âge, plus il était convaincu qu’il ne fallait que s’amuser. A la même époque, Friedrich Schiller assurait que l’homme est totalement humain seulement lorsqu’il joue.

Et au siècle dernier Brian Sutton-Smith affirmait que :

« Le contraire du jeu n’est pas le travail mais bien la dépression. »

Alors faut-il en conclure que le jeu est sérieux ? Sûrement pas ! Mais plutôt qu’il fait partie intégrante de notre ADN en étant une source inépuisable de plaisir, de joie et d’apprentissage. Nous pouvons et même nous devons assumer le terme JEU sans crainte, ne pas nous arrêter de jouer, et surtout pas dans la sphère professionnelle, sous crainte de tomber effectivement dans la dépression.

Notre futur sera probablement très différent du présent, mais avec du jeu encore plus présent. Aux dires de Gabe Zichermann[2], un spécialiste de la gamification (ou ludification) des entreprises, la génération Y serait encore plus sensible à la notion de jeu puisque depuis son enfance elle baigne dans le jeu vidéo, les consoles, les mobiles, le réseau social et bien d’autres choses encore. Il serait donc indispensable pour les managers et leurs entreprises de bien comprendre ces enjeux pour motiver ou simplement embaucher des jeunes de la génération Y au sein de leurs entreprises. Cette analyse est confirmée par une étude MTV réalisée en 2011[3] qui rapportait que les jeunes de la génération Y considéraient que la « game-like metaphor » s’appliquait à tous les aspects de leur vie, et en particulier leur vie professionnelle.

Et comment ca marche ?

Pratiqué en entreprise, le jeu donne des résultats particulièrement performants. La mémorisation des pratiques à long terme est meilleure, les questions sur les modes opératoires sont nombreuses et pertinentes, l’attention des participants est durable et de bonne qualité, et d’une façon générale les participants ne voient pas le temps passer, preuve d’un intérêt réel pour le sujet proposé. Il est donc intéressant de chercher à comprendre pourquoi cette activité est aussi efficace.

Tout d’abord il est important de préciser que le jeu en entreprise n’est pas pratiqué n’importe comment, c’est à dire uniquement pour le plaisir de jouer, et cela même si j’aurais tendance à penser que ce n’est pas mal de prendre du plaisir de temps en temps. Chaque jeu a un objectif précis (Cf. « Facilitation ludinnovante », de Laurent Sarrazin, parue dans « Rupture Douce Saison 01 ») et même s’il n’est pas forcément connu par les participants au démarrage du jeu, ils savent qu’ils vont en retirer un apprentissage concret ce qui les incitent à s’engager dans l’activité proposée.

Les jeux mettent les participants dans l’action et favorisent un apprentissage cognitif, c’est à dire en pratiquant soi-même. La réticence des participants à se « mettre en scène » est parfois réelle, mais les règles du jeu et la possibilité d’utiliser un avatar, donc ne plus être exactement soi-même, permettent de définir une zone de sécurité dans laquelle chacun pourra s’exprimer librement. Il n’est pas rare de voir des discussions beaucoup plus honnêtes entre un employé et son manager lors d’un jeu que dans le contexte professionnel. Ces discussions permettent bien souvent de se comprendre mieux et donc de mieux travailler ensemble à l’issue du jeu.

Ceci pourrait également être mis en relation avec les « Cartes Narratives » de Michael White[4], grand thérapeute australien que m’a fait découvrir Laurent Sarrazin, et sa notion de « conversations externalisantes ». Je cite « dans les conversations externalisantes, le problème devient le problème, et non pas la personne. Nous objectivons le problème au lieu d’objectiver la ou les personnes. La séparation entre l’identité de la personne et l’identité du problème ne supprime pas la responsabilité des gens à traiter leur problème. De fait, la séparation donne à la personne davantage de possibilités d’exercer sa responsabilité. En effet, si la personne est le problème, elle ne peut pas faire grand chose qui ne soit pas autodestructeur. Par contre, si la relation entre la personne et le problème est défini avec clarté, comme c’est le cas dans les conversations externalisantes, alors une foule de possibilités se présentent pour faire évoluer cette relation ». Avec cet angle de vue, la protection offerte par les règles du jeu permettent à chacun de regarder la situation avec du recul sans se considérer personnellement engagé dans cette situation.

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La notion d’apprentissage est fortement liée à celle de la mémorisation du savoir, qui est de son côté, beaucoup plus pérenne lorsqu’elle est liée à une émotion vécue. A titre d’exemple je citerais le fait que nous sommes très nombreux à nous rappeler précisément ce que nous faisions il y a plus de 10 ans le 11 septembre 2001. Mais quasiment personne ne se souvient de ce qu’il faisait le 10 septembre ou le 12 septembre de la même année. Nos émotions sont donc des vecteurs essentiels de l’ancrage du savoir dans notre cerveau et quoi de mieux que le jeu pour créer ces émotions. Nous pouvons avoir le plaisir de gagner, la satisfaction d’avoir un bon résultat, le bonheur d’avoir eu un fou rire ou même être frustré d’avoir perdu. Le plaisir, le bonheur et la frustration sont des émotions très fortes qui enracinent notre savoir pour une longue période.

Un autre mécanisme de succès du jeu est la compétition. En effet, ce levier est tellement ancré en nous qu’il suffit d’avoir 2 équipes dans une salle pour que chacune d’elles essaie de « battre » l’autre, et cela même si le jeu pratiqué n’est absolument pas compétitif (comme un Innovation Games® par exemple). Une des techniques de facilitation des jeux, que j’utilise couramment, consiste d’ailleurs à constituer 2 équipes pour que l’engagement de chacun soit plus rapide et plus fort, même s’il n’y a que 4 participant !

Comment convaincre mon patron de me laisser jouer ?

Certains patrons montrent des réticences à laisser jouer leurs équipes car le ROI (I;e. : retour sur investissement) ne leur semble pas garanti. Si les bénéfices d’une heure de formation semblent acquis, il n’en est pas de même pour une heure de jeu. Une approche possible pour les convaincre serait de leur parler de la position des philosophes, de l’ancrage des apprentissages ou de présenter le jeu comme un outil pour créer une dynamique d’équipe. Mais la meilleure solution est de les faire jouer eux-mêmes.

Lorsque FDJ, celui dont parle Claude dans son histoire (Cf. « Quand l’agilité rencontre la sociocratie » de Claude Aubry, parue dans « Rupture Douce Saison 01 ») a essayé de vendre l’approche par le jeu à la direction de son entreprise, il s’est heurté à une résistance polie : « Mais qu’est ce que cela va nous apporter ? ». Plutôt que d’argumenter pendant des heures, il a simplement proposé aux directeurs d’investir 2 heures de leur temps à jouer entre eux. L’un des 2 jeux choisis était mon « Casino Game »[5]. Comme dans la grande majorité des situations, la dynamique du jeu s’est mise en place avec beaucoup de rires, un peu de tricherie et énormément d’énergie. A l’issue des jeux, FDJ a simplement demandé à ces directeurs s’ils avaient pris du plaisir en apprenant des choses, et comme leur réponse a été positive, il a simplement ajouté : « et pourquoi vous ne voudriez pas que vos collaborateurs prennent le même plaisir que vous ? » Et hop, c’était gagné !

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Lorsque j’interviens chez un nouveau client pour présenter l’agilité, je propose toujours un jeu, et cela quelque soit le niveau hiérarchique des participants. Je ne leur laisse pas vraiment le choix, car j’ai totalement confiance dans ce qui va se passer et je sais que cela sera une réussite. Bien entendu, je choisis le jeu en fonction de l’objectif à atteindre. Un jeu comme « Artistes & Spécifieurs »[6] sera utilisé pour faire découvrir les mécanismes d’une méthode de gestion de projet Agile, un Jeu comme « Au Tableau »[7] sera utilisé pour favoriser la mise en place d’un management visuel et un « Marshmallow Challenge »[8] permettra de mieux comprendre la démarche empirique propre à l’agilité. Un autre jeu comme le « Fearless Journey »[9] (Cf. « Un voyage sans crainte » de Gilles Mantel, parue dans « Rupture Douce Saison 01 ») sera utilisé pour enseigner des stratégies pour résoudre des problèmes.

Je vais bientôt faciliter un jeu et je stresse un peu

La facilitation d’un jeu est légèrement différente de la facilitation de réunion ou d’une équipe (comme le rôle de Scrum Master). Tout d’abord il faut préparer le matériel et bien connaître les règles du jeu. Pour cela, l’idéal est d’avoir eu l’occasion de pratiquer ce jeu en tant que joueur ou de l’avoir essayé sur une population de volontaires. La participation à un événement comme Agile Games France, Agile Playground, ou une soirée Scrum Night, permet aux participants d’être en totale sécurité pour essayer toutes sortes de jeu que ce soit comme joueur ou animateur.

En tant qu’animateur, il ne faut pas oublier que le jeu n’est pas pour nous mais bien à destination des joueurs, surtout si nous avons un rôle à jouer dans le jeu (comme le Product Owner de « Lego4Scrum »[10]). Cela ne doit pas nous empêcher de prendre du plaisir, mais il faut faire attention à ne pas nous laisser prendre au jeu et vouloir gagner nous même !

Le facilitateur doit être convaincu que le jeu va marcher et ne pas laisser de temps mort dans la mise en route. J’aime bien stimuler les participants avant le démarrage du jeu, par exemple en répétant plusieurs fois qu’ils n’auront que 120 secondes pour construire le produit, comme dans « 99 balloons »[11], et que c’est vraiment un délai très court. D’autres animateurs voient cela comme une manipulation des joueurs, pour moi c’est simplement une mise en condition, comme pour un sportif qui s’échauffe avant de rentrer sur le terrain.

Le facilitateur doit rester humble face au jeu et accepter d’apprendre des joueurs. Le jeu ne se déroulera jamais 2 fois exactement de la même façon. Il ne faut surtout pas chercher à remettre les joueurs dans un cadre prévu à l’avance, mais plutôt faire preuve d’initiative et de réactivité face aux situations rencontrés. J’ai bien dû animer le jeu « Artistes & Spécifieurs »6 plus de 100 fois et le déroulement du jeu m’a toujours réservé des surprises (découverte du bug de la fin, spécification écrites sous forme géométrique …). Encore aujourd’hui, j’apprends toujours de mes joueurs lorsque je l’anime.

La dernière étape d’un jeu est le débriefing avec les participants pour analyser le déroulement de la partie, renforcer les enseignements acquis et prendre du feedback des participants sur les situations professionnelles que le jeu leur rappelle, ou leur demander dans quel contexte ils pourront mettre en œuvre les apprentissages.

 

Cette étape est absolument cruciale pour la réussite du jeu

Malheureusement, j’ai vu plusieurs fois des animateurs écourter, voir annuler, cette discussion par manque de temps. Il aurait sûrement mieux valu jouer moins longtemps et garder du temps pour faire un vrai débriefing.

En conclusion

J’espère vous avoir donné envie de jouer si vous n’osiez pas le faire, ou de rejouer si vous étiez déjà joueur, ou de créer un jeu pour faire jouer les autres, ou simplement de venir jouer avec nous lors d’un prochain événement agile dédié aux jeux.



[1]http://www.nifplay.org/

[2]Zicherman G. – http://www.gamification.co/gabe-zichermann/

[3]Shore N. (2011,n december 12) « Millenials Are Playing With You » – http://blogs.hbr.org/cs/2011/12/millennials_are_playing_with_y.html

[4]White M. – https://fr.wikipedia.org/wiki/Michael_White

[5]Boutin Alexandre – http://www.agilex.fr/jeu-casino-game/

[6]Cockburn Alistair – http://alistair.cockburn.us/The+Draw+the+Drawing+Game

[7]Boutin Alexandre – http://www.agilex.fr/jeu-au-tableau/

[8]http://marshmallowchallenge.com/Welcome.html

[9]http://fearlessjourney.info/

[10]http://www.lego4scrum.com/

[11]http://tastycupcakes.org/2009/06/99-test-balloons/

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